Paul Deschanel, le président de la République tombé d’un train

Un président de la République qui tombe du train et que l’on retrouve en pyjama sur le bord de la voie ferrée, voici une histoire incroyable mais vraie. On la doit à Paul Deschanel né le 13 février 1855 non loin de Bruxelles. Ses parents sont alors réfugiés en Belgique à la suite du coup d’Etat perpétré par Louis-Napoléon Bonaparte. La famille Deschanel rentre en France quatre ans après la naissance du jeune Paul. Il se révèle un élève brillant, plusieurs fois lauréat du concours général. Dès l’âge de 20 ans il débute une carrière littéraire et devient sous-préfet deux ans plus tard. Député à 30 ans, président de l’Assemblée nationale, membre de l’Académie française, de l’Académie des sciences morales et politiques, notre homme est brillant. Et pourtant on va traiter de maboule celui qui devient président de la République en janvier 1920, élu à une écrasante majorité. Que s’est donc-t-il passé ?

Nous sommes le 23 mai, quatre mois après son élection. A 21h20 le président Deschanel prend le train à la gare de Lyon à Paris, destination Montbrison dans la Loire où il doit inaugurer un monument aux morts. Fatigué, Deschanel se retire à 22h dans la chambre du train présidentiel. Il demande de ne pas être dérangé et souhaite être réveillé à 7 heures. Comme à son habitude il peine à dormir, la chaleur n’arrangeant rien. Peu avant Montargis – non loin de Gien – il décide d’ouvrir la très large fenêtre pour prendre l’air frais.

Création d’Isy Ochoa et mis en page par Grenade et Sparks

Manque de chance (peut-être sous l’effet des calmants et de l’absence d’appui) il bascule et tombe sur la voie. Par bonheur, le train évolue à faible vitesse, il s’en sort avec quelques contusions. Deschanel rencontre d’abord un dénommé André Radeau qui effectue une ronde de nuit. Il l’interpelle : « Qui va là ? » dit-il. « Je suis blessé. Je suis monsieur le président de la République. » Autant dire que l’homme doute de l’identité du chef de l’Etat et prend cet homme en pyjama pour un fou. Après une courte marche ils arrivent chez Gustave Radeau, le garde-barrière. Une femme déclara – après ce qu’il faut bien appeler un événement – : « J’avais bien vu que c’était un monsieur (sous-entendu, quelqu’un gravitant dans les hautes sphères) car il avait les pieds propres ». Le garde-barrière donne les premiers soins avant qu’un médecin n’identifie le Président et le conduise à la sous-préfecture de Montargis. À bord du train présidentiel, personne n’a rien remarqué à cause des ordres donnés de ne pas le déranger. Il faut imaginer la stupeur à 7h du matin du valet de chambre frappant à la porte avant de l’ouvrir pour découvrir un lit vide et une fenêtre grande ouverte !

Dessiné et mis en page par Séverin Millet

Préalablement à cet épisode qui fera les joies de la presse et des chansonniers, on avait remarqué que le Président oscillait entre l’abattement et la joie de vivre, ce qui ne l’empêchait pas d’être très populaire. Paul Deschanel était dépressif mais aucunement fou, bien qu’il signât un document officiel sous le nom de Napoléon. Dès sa prise de fonction, il se rendit compte qu’il n’avait pas de grands pouvoirs (surtout dévolus au président du Conseil) alors qu’il rêvait de changer beaucoup de choses. Cela l’affecta beaucoup. Le 21 septembre 1920 Deschanel démissionne, après seulement 7 mois et trois jours à la tête de l’Etat. Il se fait rapidement réélire sénateur en 1921 mais une grippe l’emporte le 28 avril 1922 à 67 ans.